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Philippe Pujol, localier primé

 

Le 12 mai 2014, le Prix Albert Londres était décerné, non pas à un reporter de guerre, non pas à un explorateur de terres inconnues, à un localier. Mais Philippe Pujol, 38 ans, est peut-être tout ça à la fois. 

 

 

Scène surréaliste pour la remise annuelle du graal du journalisme français. Les caméras des médias nationaux, les crépitements des flashes sont tous dirigés vers ... un journaliste de presse locale, fait-diversier de surcroît. Philippe Pujol travaille alors à la Marseillaise, quotidien régional marqué à gauche, depuis une quinzaine d'année. Et c'est "Quartier shit", sa série de reportages sur les quartiers nords de Marseille qui vient d'être primée.

 

 

La star du jour profite des micros qui lui sont tendus pour défendre son métier, celui de journaliste de terrain, de localier. "Pas d'info sans nous !" clame-t-il à la cantonade. Raillant au passage l'image d'Epinal de l'aventurier en terre de conflit.

 

"Moi personne ne m'a emmené dans un pays encadré par l'armée" nous répète-t-il quelques semaines plus tard, devant le Vieux Port. Le reportage, c'est le quotidien de Philippe Pujol. "J'en fais beaucoup, parce que j'adore ça." confie-t-il. Et son terrain de jeu, ce sont les quartiers nord, ceux dont on aime à prononcer le nom dans les journaux télévisés parisiens, sans trop savoir où les situer sur une carte. Ceux qui effrayent parce qu'on les imagine remplis de cages d'escaliers sordides où s'échangent à tour de bras kalachnikovs et barrettes de shit. Le sordide n'est pas le sujet de Philippe Pujol. "Je n'aime pas les faits-divers" dit-il simplement, alors même que c'est dans cette rubrique qu'il officie depuis des années.

 

Ce qui l'intéresse, c'est tout ce qui se passe autour du faits-divers : la misère sociale, les non-dits et les tensions qui traversent ces barres d'immeuble à l'écart de la ville. Observateur aguerri du milieu, quand une fusillade fait les gros titres de l'actualité, il dispose des clés pour en comprendre les enjeux, les circonstances. Mais il se détourne des phantasmes sur le grand banditisme. "C'est pas si compliqué que l'on pense" explique-t-il. Comprendre : la misère, la misère et encore la misère. Et à ce sujet, il est intarrissable. 

 

Pour parler de lui, le jury du Prix Albert Londres a écrit"Philippe Pujol emmène ses lecteurs dans des endroits qu’ils ne connaissent pas avec un style empathique sans être compassionnel, plein d’audace et de fulgurances". Le style, l'autre passion de ce fait-diversier phocéen. En arrivant à la Marseillaise, il s'est fait sa plume en écrivant des brèves ciselées au couteau, façon Félix Fénéon. 

 

Mais au milieu de l'été, celui qui n'avait jamais travaillé dans une autre rédaction est parti vers d'autres horizons. Licenciement économique. Pour un Prix Albert Londres, cela n'est pas commun. Mais le localier a l'âme d'un franc-tireur. "Pujol n'a jamais représenté la Marseillaise, il se représente lui même" murmure-t-on, sans animosité, dans le milieu. C'est peut-être pour cela que l'on n'aperçoit aucune inquiétude sur son visage : les demandes de collaborations ne manquent pas et plusieurs projets de publications sont dans les cartons. La première entrée en librairie de Philippe Pujol, avec French deconnection : au coeur des trafics aura lieu le 6 novembre 2014, aux éditions Robert Laffont. 

 

Habitué au confort - relatif - de la PQR, il ne se voit pas se lancer dans l'aventure d'un nouveau média. Avoir une structure solide derrière soi est selon lui indispensable pour qui veut exercer à plein son métier de journaliste. Mais il regarde avec bienveillance le milieu médiatique marseillais bourgeonner. "C'est une ville avec tellement de mélanges de cultures, forcément il y a de la place pour toutes sortes de petits médias !". De sa ville aussi, Philippe Pujol peut parler pendant des heures. Sur son compte Twitter, il résume en une ligne le credo qui guide ses pas : "Marseille est amour et Kalachnikov".

 

 

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